«Il faut raconter la diversité des profils entrepreneuriaux, accompagner et partager ces succès remarquables dans tous les secteurs de l’économie.»
Zéro dirigeante au CAC 40, combien à la tête des PME et ETI? Women Equity Partners est interrogé par Brut. et la journaliste Pauline Normand sur la sous-représentation massive des femmes dans les instances dirigeantes.
L’occasion pour sa fondatrice Dunya Bouhacene de revenir sur un chantier d’importance, de l’éducation, aux media, aux politiques, aux acteurs au sens large de l’économie.
Et de réaffirmer que le sujet ne peut se résumer à la féminisation des plus hautes sphères des grands groupes, pas plus qu’au soutien à la création de micro-entreprises par des femmes, les deux seuls volets à date de l’action publique.
La question des PME et ETI est centrale et Women Equity Partners en a fait son chantier principal.
Quel est le nombre de femmes dirigeantes au sein du CAC 40 et que dit ce chiffre?
Zéro. Il n’y a aucune femme à la tête d’une entreprise du CAC 40, cet indice rassemblant les 40 premières capitalisations boursières françaises. Il y en a une dizaine au sein du SBF 120, regroupant les 120 plus grosses entreprises cotées françaises.
La sous-représentation des femmes dans les directions opérationnelles des grands groupes reste massive, alors que la parité au baccalauréat a été atteinte il y a près de trois générations (71), qu’elles raflent la majorité des mentions, qu’elles forment la majorité des admis aux concours des grandes écoles de commerce, comme des diplômés de 3e cycle et la moitié de la population active.
Pourquoi s’en préoccuper?
Au-delà même de l’aberration économique à former, sur nos impôts à tous, des individus dont la trajectoire va être arrêtée et dont les contributions économiques, sociales, fiscales seront limitées, il y a la question d’une France qui se prive d’une source de croissance : les entreprises où les femmes sont présentes aux plus hauts niveaux de décisions sont, de loin, les plus performantes.
Selon l’observatoire Skema de la féminisation des entreprises, l’étude de mars 2020 démontre une nouvelle fois qu’il y a un lien entre la féminisation de l’encadrement et les performances économiques de l’entreprise.
Plus une entreprise compte de femmes à sa tête, plus elle est rentable.
La démonstration tient en quelques chiffres. La marge opérationnelle tout d’abord.
Quand elle est de 10% dans les entreprises dont l’encadrement compte le moins de femmes, elle est de 25% dans celles qui en comptent le plus.
Quinze points, c’est ce que fait gagner en marge opérationnelle la présence des femmes au plus haut niveau.
Même chose sur la performance boursière. Sur dix ans, les dix entreprises les plus mixtes affichent près de 300% de croissance contre 43% pour la moyenne des entreprises du CAC40.
La mixité est un enjeu de compétitivité et de performance économique et sociale pour l’entreprise.
Donc, pas de femmes ou quasi à la tête des plus grands groupes français, mais combien sont-elles dans les Comex, ces centres de décisions des entreprises?
Moins de 20% en 2020.
Pourquoi les femmes peinent-elles à y accéder?
De nombreuses raisons expliquent cette situation, rappelons-le encore une fois, défavorable à l’économie française : les biais et stéréotypes projetés par les familles, l’éducation nationale, les media, le politique, les entreprises elles-mêmes, sur qui peut être un dirigeant et ce que doit être une femme ; les réseaux de pouvoir organisés au masculin et pratiquant l’entre soi et la cooptation, la liste est longue.
Tous ces éléments se translatent dans la vie professionnelle des femmes en double relégation, dans les rôles et dans les fonctions : ce qu’on appelle le plafond de verre et les parois collantes.
Le politique s’est saisi du sujet, pour tenter de forcer les pentes de progression, notamment au travers de la loi Copé-Zimmermann en 2011… Pour quel effet?
Je rappelle qu’à l’époque si on avait laissé les choses suivre leur cours, il aurait fallu attendre près de 200 ans pour espérer atteindre une parité sur la question.
Alors cette loi Copé-Zimmermann que dit-elle? Il faut légiférer sur ce qui est légiférable, c’est-à-dire sur les instances de contrôle des entreprises, les fameux conseils d’administration, et forcer, par le quota, une progression de la part des femmes dans ces instances.
A l’exemple de grands voisins européens, la France a fixé un quota obligatoire de 40% du sexe sous-représenté (ne me demandez pas lequel !) dans les CA au 1er janvier 2017 dans les entreprises cotées et dans les sociétés comptant plus de 500 salariés permanents et un chiffre d’affaires supérieur à 50M€ (élargi aux entreprises de 250 salariés en 2014, avec un horizon d’atteinte en 2020).
Avec des résultats mirifiques sur le papier: 10 ans plus tard, la parité est presque atteinte dans les CA du CAC 40 / SBF 120 avec 45% d’administratrices.
Fin de l’histoire?
Bien sûr que non! Les organes de direction des entreprises, les Comex ou équivalents se sont bien moins significativement féminisés sur la période, passant de 8 à 18%. J’ai en tête un exemple particulièrement criant de cette disjonction, un grand groupe français qui compte 58% d’administratrices, mais 0% de membre du Comex, et 19 femmes dans le top 100.
Mais surtout, combien d’entreprises entrent réellement dans le champ de cette loi? Un tout petit nombre en réalité.
Il faut pondérer les impacts de la loi Copé-Zimmermann, malgré sa dynamique évidente, à l’aune du nombre d’entreprises auxquelles elle s’applique vraiment, c’est-à-dire aux seules sociétés statutairement dotées de conseils, les SA (société anonyme) et les SCA, qui ne représentent qu’un tout petit nombre.
Ainsi les SAS, qui organisent librement leur gouvernance, n’entrent pas dans son champ. Or, 80% des ETI sont structurées en SAS.
Alors maigre bilan ?
Certes, on ne parle in fine que de quelques centaines de femmes, ça fait léger à l’échelle de la France, mais il ne faut pas sous-estimer les effets induits de cette loi: en mettant l’attention sur la féminisation des instances des plus grandes entreprises, elle contribue à muscler le débat parce qu’elle le documente.
Mais il ne faut pas se tromper: l’effet de ruissellement attendu de la nomination d’administratrices indépendantes, et donc extérieures à l’entreprise, sur les instances de direction des très grandes entreprises ne s’est pas produit et son extension à l’ensemble de l’économie réelle encore moins.
Qu’en est-il des PME et ETI de croissance qui ne rentrent pas (encore?) dans le champ de la loi? Il semble y avoir une hausse du nombre de femmes créatrices d’entreprises…
Cela fait 10 ans chez Women Equity que nous nous attachons à identifier, accompagner, financer et promouvoir les PME de croissance et les ETI dirigées par des femmes en France.
Parce que nous croyons à la vertu des rôles modèles accessibles (ce que n’est pas tout à fait une patronne du CAC 40, et où la dimension politique de la nomination ou du maintien n’est pas anodine) pour faire bouger les lignes.
Parce qu’il faut raconter la diversité des profils entrepreneuriaux, accompagner et partager ces succès remarquables dans tous les secteurs de l’économie.
Nous avons démarré à partir de plusieurs constats.
Les PME et ETI, pourtant responsables de 55% des emplois au global (et plus du double de celui des grandes entreprises), relèvent de la boîte noire, avec peu d’éléments d’information sur le profil des dirigeants, sur les parcours d’accès aux fonctions de direction, sur la composition salariale, etc.
Nous documentons chaque année depuis 10 ans près de la moitié des entreprises françaises qui disposent de chiffres d’affaires entre 4 et 150 M€, soit 40 000 PME et ETI, et regardons la part des femmes dirigeantes et comparons leurs performances à celles de leurs homologues masculins.
Leurs entreprises représentent entre 15% et 20% de l’échantillon global, sont de taille tout à fait similaire à leurs homologues et ne sont pas cantonnées à quelques secteurs considérés comme féminins.
Fait plus remarquable encore, à taille et secteur homogènes, elles surperforment, avec une rentabilité moyenne à près de 9% versus 6% pour leurs homologues.
Ces entreprises remarquables sont-elles pour autant reconnues? Prennent-elles pour autant la place qui leur revient dans les media, les réseaux institutionnels et politiques?
Certainement pas, même si nous nous attelons à faire la lumière sur elles.
Plus dérangeant encore, si on regarde la façon dont elles sont financées pour soutenir leur croissance, elles ont en moyenne six fois moins de probabilité d’être accompagnées par les acteurs du capital-investissement français.
Toute l’initiative de Women Equity Partners, au fil des années dédiées au soutien des PME et ETI dirigées par des femmes, vise à identifier et mettre en évidence l’incroyable richesse d’un univers d’entreprises largement méconnu et encore aujourd’hui relativement ignoré, dirigées par des managements remarquables, qui excellent sous de nombreuses contraintes, de visibilité et de reconnaissance, de faible intégration dans les réseaux d’affaires traditionnels, comme de financement en capital.
La plateforme Women Equity a été développée à partir des attentes identifiées et exprimées par des dirigeantes de PME qui comptent parmi les plus performantes.
Sa mission: construire un écosystème favorable qui leur permet de majorer l’impact économique, financier, social et sociétal des entreprises dont elles ont la responsabilité. Et concourir ainsi à l’émergence de champions régionaux, nationaux, et internationaux.