Charte de bonne conduite en milieu agricole signée, approvisionnements sécurisés, activité industrielle maintenue, le groupe Mul reste concentré sur sa stratégie et son développement.
A la fois agriculteur et industriel, comment le Groupe Mul a-t-il pu maintenir ses activités ?
Cécile Mul, présidente du groupe Mul : Nous sommes restés en fonctionnement, car considérés comme un maillon de la chaîne alimentaire. Nous produisons des extraits végétaux (vanille, cacao), fournissons des produits d’aromatisation pour différentes industries dont l’agro-alimentaire. Nos extraits végétaux entrent aussi dans la fabrication de produits d’hygiène.
Le plus gros challenge a été de réorganiser l’activité, mais le point le plus important était de continuer l’activité, de sécuriser les approvisionnements. De tenir nos engagements vis-à-vis de nos clients et de nos fournisseurs. Et donc de conserver un maximum de nos forces humaines pour y parvenir, de les protéger durablement. J’ai gardé l’ensemble de l’effectif en activité, sans avoir recours au chômage partiel.
Le télétravail a-t-il pu être un recours ?
J’ai passé 21 % de mes salariés en télétravail, ce qui est beaucoup pour une structure comme la nôtre car cette pratique n’est pas du tout inscrite dans nos gènes. Les salariés se sont montrés très flexibles, nous avons pris la décision le jeudi, le lundi 90 % de ceux qu’on passait en télétravail étaient opérationnels.
Dans le même temps, on a identifié et isolé les personnes fragiles potentiellement exposées qui ont bien compris que nous étions dans une démarche de protection.
Le personnel de production est resté opérationnel avec une révision des horaires pour s’adapter à l’effectif présent, une réorganisation des règles de distanciation sociale.
Une de nos chances est d’être dans une industrie où les équipements de protection font déjà parti de notre quotidien vis-à-vis de la sécurité alimentaire. Beaucoup de procédures sont déjà en place.
Le point le plus impactant aura été de gérer les gardes d’enfant.
Qu’aurez-vous appris de cette crise en tant que leader ?
Intellectuellement, la crise nous a obligé à nous remettre en cause, elle a été un challenge pour le management. Nous avons été beaucoup dans le dialogue, encore plus que d’ordinaire. Nous nous sommes intéressés à notre personnel plus encore.
En tant que manager, j’ai tenu à être présente auprès de mes équipes durant toute la période. Les quinze premiers jours ont été assez lourds, avec beaucoup d’inconnues sur l’ampleur de la crise sanitaire qui nous arrivait dessus. J’ai décidé d’être dans le partage de l’information au maximum avec mes salariés. Dans notre société familiale, le climat de confiance entre salariés et employeur est très important, nous avons des rapports privilégiés ensemble, ça facilite l’adhésion aux décisions.
Pouvoir rester ouverts a été pour nous une chance économique qu’on se devait de transformer positivement. En tant que dirigeante, humainement, j’ai senti tout le poids de la responsabilité que cela représentait. Je l’ai pris comme un gros défi à relever et j’ai la fierté aujourd’hui de ne pas avoir eu de cas de Covid-19 dans mon entreprise.
Au-delà des saisonniers, pourquoi avoir maintenu les recrutements dans le commerce et le développement durant cette période ?
Parce que nous les considérions comme stratégiques avant la crise et que nous n’avons pas changé d’avis. On se devait de travailler sur la reprise économique même en pleine crise.
Les deux personnes que nous avons intégrées occupent un poste de développement auprès de la direction commerciale et un poste qui m’accompagne sur le développement des filières en amont sur la partie sourcing de nos matières premières, des postes de terrain situés côté ventes, fournisseurs, partenaires agricoles à l’étranger qui doivent être en mouvement habituellement.
La partie filière et développement durable fait partie des points différenciants du groupe Mul, c’est l’un de nos avantages sur notre marché, on ne voulait pas perdre de temps sur l’exécution de nos projets.
Maintenant nous savons comment accueillir de nouveaux entrants hors période de travail classique.
Sécuriser vos approvisionnements était aussi stratégique…
Les récoltes se sont faites sur nos parcelles, comme chez tous nos partenaires agricoles. Là-aussi, il a fallu revoir les bonnes pratiques. En agriculture, on partage habituellement les outils en France comme à l’étranger.
Nous avons une politique de recrutement local pour les récoltes. La fermeture des frontières n’a pas eu d’impact sur notre flux de saisonniers. Et en local, en pays grassois, l’agriculture n’a pas fait peur, au contraire. Les saisonniers habituels se sont présentés et nous avons même eu plus de demandes.
Les récoltes de Rose de mai ont eu lieu. Avec une organisation différente mais le flux de matière première a été sécurisé.
Pourquoi ne pas décaler, rester projeté vers l’avenir était si important pour vous ?
Parce que c’est stratégique pour la santé économique de notre entreprise. Nous avons fait le choix de tout mettre en œuvre pour ne pas nous retarder davantage. On a passé cette période, bien sûr en gérant la crise sanitaire, mais surtout en restant projetés vers l’avenir pour être non seulement prêts à la relance mais continuer notre dynamique de croissance.
En mars, l’enjeu était d’honorer le carnet de commande en cours. En avril-mai, on a été impacté par le contexte et nous étions suspendus aux décisions du gouvernement pour savoir ce qui allait pouvoir repartir ou pas. Même si nous sommes très en amont de la chaîne alimentaire et du secteur de l’hygiène, nous sentons l’impact des fermetures. Aujourd’hui, nous sentons une reprise progressive.
Il faut que la crise reste maîtrisée sur la durée. C’est une chose de tenir deux mois et demi, c’en est une autre si cette crise devait s’inscrire à plus long terme.
Quel impact a eu la crise sur votre politique de développement ?
A aujourd’hui, cette crise n’a pas impacté nos engagements, elle ne remet pas en cause notre développement. Et au contraire, je pense qu’il faut maintenir notre politique d’investissements positionnés sur le long terme. Les résultats ne seront pas visibles immédiatement mais leur fruit n’en sera pas retardé d’une année ou deux.
C’est important de savoir faire la part des choses entre les investissements que l’on doit maintenir et ceux à repousser. Je considère qu’il fait sens de garder tout ce qui est ressources humaines, innovantes et stratégiques, inscrites à notre plan de développement parce que c’est ce qui différencie notre entreprise dans notre domaine, qui la rend active, dynamique et attractive.
Maintenir votre positionnement est un argument auprès de vos fournisseurs et partenaires ?
Maintenir notre positionnement rassure nos clients et nous avons une nouvelle fois prouvé à nos fournisseurs que nous sommes non seulement présents, mais fiables et stables. Ils seront moins tentés d’ouvrir de nouvelles consultations.
Nous sommes sur des engagements longs termes avec nos fournisseurs. Beaucoup d’industries fonctionnent avec une vision court terme, nous, avec les matières végétales, on ne peut pas.
En quoi cette crise vous aura fait progresser ? Qu’en garderez-vous ?
Cette crise nous a permis de compléter nos bonnes pratiques, de renforcer l’existant. Elle nous a obligé à sécuriser encore plus certains risques. Je pense qu’on gardera un certain niveau de télétravail, on y a moins de réticence.
On aura aussi pu tester une autre forme d’interaction avec nos filières, beaucoup de nos visites terrain se sont faites par visio-conférence et nous ont prouvé qu’on pouvait en partie travailler à distance.
Ca nous donne à réfléchir sur notre stratégie de déplacement. Nous qui observons de très près notre impact environnemental, qui construisons des filières durables, la nature de nos interactions fait sens.
La crise du Covid-19 a mis un coup de projecteur sur la nature de ce que nous consommons. Cela aura-t-il un impact sur votre activité ?
Dans notre créneau des extraits naturels, la qualité de production n’est plus une tendance mais une chose bien ancrée. Nos clients n’ont pas changé leurs positions. Ils sont très attachés à nos programmes, à la qualité de nos produits. La crise a mis en lumière la force des circuits courts, a encore amélioré la connaissance du consommateur en matière d’origine et de traçabilité du produit. Elle aura permis de faire ouvrir les yeux sur certaines choses, on a senti les gens très anxieux mais très observateurs aussi. Il était important d’être présents, pendant cette période.
Les bienfaits d’une décision se récoltent aussi sur le long terme. Nos salariés ont gardé leur emploi, j’ai décidé qu’ils garderaient aussi leur prime d’intéressement. Ils ont apprécié que je leur confirme. La crise a vérifié que nous sommes une entreprise soudée, animée autour du projet commun. Elle a renforcé la confiance et l’implication des personnes. Mes salariés ont démontré leur motivation à tenir nos engagements, et ça c’est une belle reconnaissance pour nous.