« C’est dans leur exécution au bon rythme et auprès des bonnes cibles que se prouvera l’efficacité des mesures. »
La capacité des entreprises à traverser la période est l’un des enjeux de cette rentrée au long cours. Le plan de relance européen d’une ampleur jamais vue et celui mis en place par le gouvernement français seront-ils de nature à la soutenir ?
Marie-Claire Capobianco, l’ex-directrice des Réseaux France de BNP Paribas et membre du comité exécutif du groupe, nous apporte sa vision macro sur l’économie française. Après une carrière exigeante dans la banque, à mener ses équipes avec un fort esprit d’entrepreneur, celle qui a pour habitude de regarder le verre à moitié plein et qui a toujours témoigné d’un engagement indéfectible en faveur de l’entrepreneuriat féminin est convaincue que les entreprises ont les moyens de sortir de cette crise transformées et accélérées au plan de l’organisation du travail et qu’elles sont capables de retrouver leur développement dans un monde où le virus continuera d’exister.
Les banques sont-elles en mesure d’accompagner suffisamment les PME & ETI pour qu’elles dépassent le mode survie et continue à se projeter vers l’avenir ? Quel volontarisme de la part des financeurs six mois après le début de la crise sanitaire en France ? Marie-Claire Capobianco partage son regard expert.
Avant d’évoquer la question du financement des entreprises, comment va la France en cette rentrée 2020 ? Pouvez-vous nous partager votre vision macro-économique ?
Marie-Claire Capobianco : La pandémie mondiale de la Covid-19 a provoqué une réaction quasi identique des gouvernements qui ont bloqué leurs économies pour tenter d’écraser la crise sanitaire. C’était en soi une grande première puisque la priorité absolue était ainsi donnée à la santé versus la dynamique économique. C’est ce qu’il s’est passé en France avec le confinement et la mise à l’arrêt brutal de pans entiers d’activités. Je pense qu’il n’y avait pas d’autre choix possible au moment précis où cela a eu lieu.
Le choc a donc été rude avec des secteurs très fortement touchés (aéronautique, tourisme…). Mais, dans le même temps, les entreprises se sont remarquablement adaptées en innovant tant dans les chaînes logistiques que dans les activités de production et de distribution.
Six mois après le début de la crise sanitaire, qu’est-ce qui tient et comment ?
Le point faible a, bien sûr, été la consommation et, plus particulièrement, les achats de biens d’équipement qui ont fortement baissé. Au global, l’économie française a plutôt bien résisté comme l’ont confirmé les études récentes de la Banque de France entraînant des prévisions de recul puis rebond du PIB meilleures que les précédentes.
Le retour de la croissance au niveau de 2019 est anticipé pour le début 2022.
Comment traverser la période ? Comment penser continuation de l’activité et développement avec une crise sanitaire persistante ?
Je suis convaincue que nous avons les moyens de sortir de cette crise avec des entreprises transformées et accélérées au plan de l’organisation du travail, capables de retrouver leur développement dans un monde où le virus continuera d’exister. Vous allez me dire que je suis une optimiste.
C’est exact, je préfère la version du verre à moitié plein, d’autant que je suis convaincue que cet état d’esprit permet d’aller de l’avant quand le scepticisme ou la critique permanente sont des entraves au progrès social et, finalement, au bien vivre collectif.
Le gouvernement est entré dans une nouvelle phase, ciblée, de son action pour soutenir l’économie, que penser de la logique de plan de relance qu’il met en place ?
Le programme France Relance, qui vient d’être présenté par le gouvernement français, doit être mis en perspective des nombreuses mesures déjà prises par l’Etat dès le début du confinement. Avec un accompagnement très volontariste (et certainement parmi les plus engagés d’Europe et au-delà) de l’emploi, au travers du chômage partiel, des reports de charge, des garanties de prêts bancaires…
Le gouvernement a massivement soutenu l’économie tout en préservant le pouvoir d’achat des salariés. L’augmentation de l’épargne des ménages en est l’illustration directe. Il y a donc eu tout un train de mesures dont les effets sont d’ores et déjà tangibles. France Relance vient s’ajouter en apportant, cette fois, la dimension d’une relance intégrant des objectifs environnementaux et sociétaux.
C’est donc, tant dans le montant des 100 Mds (intrinsèquement significatif) que dans la répartition en 3 grands thèmes (compétitivité, écologie, cohésion et accompagnement social) un plan ambitieux et adapté.
Quelle est votre analyse sur l’orientation de ce plan de relance, ses manques, ses forces ?
Là encore, des esprits plus chagrins peuvent affirmer que ce n’est pas suffisant ou qu’il y a telle ou telle niche qui n’est pas explicitement traitée… Mais, globalement, prenons acte d’un niveau quantitatif et qualitatif permettant véritablement d’agir efficacement.
Et il n’est pas nécessaire pour cela d’exiger des contreparties des entreprises. Les patrons et entrepreneurs de toutes catégories, femmes et hommes, font la preuve au quotidien de leur engagement dans la société sans qu’il faille en passer par des contraintes punitives !
Conjointement, le plan de relance européen d’une ampleur jamais vue et celui annoncé par le gouvernement français, seront-ils de nature à protéger la trésorerie des PME françaises ?
En chapeau ou en support du plan français, le plan de relance européen, inédit dans sa forme comme dans son fond, va permettre de financer la relance des secteurs directement impactés par la crise sanitaire tout en favorisant des investissements, de niveau européen, qui permettent de mieux armer la souveraineté de l’UE face aux continents américain et chinois.
Cet ensemble d’annonces, françaises et européennes, sont donc positives. Les chefs d’entreprise ont d’ailleurs très majoritairement exprimé leur confiance dans l’avenir de leur entreprise lors d’un très récent sondage d’opinion. Tout ceci étant posé, aussi pertinentes que soient les mesures, c’est dans leur exécution au bon rythme et auprès des bonnes cibles, que se prouvera leur efficacité. Le chemin est donc encore devant nous.
Un dernier point, très important, c’est que pour constater une réelle reprise, il faut que les consommateurs répondent présents. C’est là, le point d’achoppement le plus difficile à dénouer.
Comment y parvenir ?
Pour que les quasi 100 Mds (même montant que le plan de relance) d’épargne supplémentaire des Français depuis le début de la crise viennent nourrir l’économie, il faut le bien immatériel le plus difficile à créer : la confiance ! Confiance dans l’avenir, confiance dans le progrès… Aujourd’hui, nous n’y sommes pas et pour de multiples raisons.
Restera le sujet du remboursement de la dette et de la réduction concomitantes des dépenses publiques. Une chose est certaine, sans reprise, sans croissance, sans confiance, sans climat social apaisé, ce sera encore plus difficile…
Quels financements possibles pour les PME-ETI dans cette période ? Comment les banques abordent-elles la situation ? Comment ont-elles réagi à chaud et comment cela se translate-t-il dans le temps ?
Très concrètement, concernant le financement des TPE-PME-ETI, tant sur le plan de leur trésorerie à court terme que de leurs besoins d’investissement, il est clair qu’un soutien exceptionnellement important a été mis en place. Au-delà des mesures d’allégement de charges (ponctuelles ou pérennes) accordées par l’Etat, les banques françaises ont également autorisé des moratoires sur le remboursement des crédits existants et de nouvelles enveloppes sous forme de PGE (prêts garantis par l’Etat) ou encore d’autres solutions adaptées à chaque situation.
560 000 entreprises petites et moyennes ont ainsi bénéficié, dans des délais extrêmement courts, de PGE à hauteur de 120 Mds et elles vont pouvoir décider des modalités de remboursement en accord avec leur banquier et en fonction de leurs possibilités.
Cette crise a d’ailleurs été, pour les banques aussi, une motivation à adapter les modes d’action au contexte. Par exemple, les circuits d’étude d’une demande de crédit ont été revus et drastiquement raccourcis pour permettre de faire face à la demande massive et simultanée de PGE.
Les banques ont-elles la capacité de soutenir suffisamment les PME et ETI, à les accompagner pour qu’elles dépassent le mode survie et continue à se projeter vers l’avenir ?
Clairement, le système bancaire français est solide et démontre sa capacité à faire son métier de cœur (au propre et au figuré) qui est de financer l’économie et tous ceux qui la font ! Pas d’inquiétude à avoir donc quant à la poursuite d’un accompagnement financier des TPE-PME-ETI par leurs banques.
Quel volontarisme de la part des financeurs ? Que regardent-ils plus précisément ?
Qu’est-ce que la période modifie dans leur stratégie ?
Toutes les entreprises viables, indépendamment de l’incidence ponctuelle de la crise sanitaire, doivent pouvoir trouver les conseils et solutions adaptés à leurs besoins de fonctionnement et de croissance.
Je parle ici en tant qu’ancienne banquière et le meilleur conseil que je puisse donner aux entrepreneurs (femmes et hommes) qui nous lisent, c’est d’aller voir leur banquier et de leur expliquer, en toute transparence et confiance, leurs projets et éventuelles difficultés.
Quand on parle financement, il y a un dernier sujet très important au-delà des crédits bancaires ou des financements par les marchés, c’est celui des fonds propres…
Leur montant doit en effet être suffisant pour permettre l’endettement nécessaire à l’entreprise. Beaucoup de questions sont posées aujourd’hui sur le niveau d’endettement des entreprises versus les fonds propres dont elles disposent (et aussi, bien sûr, leurs capacités de remboursement). En réalité, les entreprises françaises ne sont pas trop endettées mais, parfois ou souvent, elles auto-limitent leur croissance en ne se dotant pas du niveau de fonds propres qui leur permettrait de nourrir des projets de croissance plus ambitieux.
Comment faire évoluer cette situation ?
Il y a un gros travail de pédagogie à faire par l’ensemble des acteurs de l’investissement en fonds propres pour expliquer aux chefs d’entreprise les différentes solutions qui existent et qui vont des nouveaux prêts participatifs aux entrées minoritaires ou majoritaires au capital des entreprises. Pour illustrer la volonté des financeurs, et en parlant de la banque que je connais le mieux, je peux, par exemple, vous dire que BNP Paribas vient de se donner l’ambition de doubler le montant de ses financements en fonds propres pour les PME-ETI en portant ses capacités de 2 à 4 Mds en France à horizon 2024.
L’entrepreneuriat féminin est un sujet qui vous tient à cœur. Quel message lui adresseriez-vous ?
Je voudrais dire aux Entrepreneures en herbe comme aux plus confirmées que la période qui s’ouvre leur sera certainement favorable car la transformation et la responsabilité seront les maîtres mots de l’économie et nous savons que ce sont deux domaines d’excellence des femmes dirigeantes…