Guillaume Mortelier : « 92 % des Accéléré-e-s ayant suivi les programmes d’accompagnement de Bpifrance initient au moins un projet de transformation en profondeur. »

Les organisations doivent se réinventer. Les dirigeants en ont pris conscience massivement. La période est propice aux programmes d’accélération. Décryptage avec Bpifrance.

Son Accélérateur de PME et ETI fête ses cinq ans. A l’image de la dynamique que ce booster économique a renforcé sur le territoire depuis 2015, Bpifrance prévoit de pousser la démarche un cran plus loin. La banque publique d’investissement a déjà accueilli plus de 1600 entreprises dans ses programmes d’accompagnement ayant vocation à contribuer à l’émergence des champions nationaux et internationaux. Elle vise plus de 700 nouveaux Accéléré-e-s en 2021.

Comment Bpifrance voit l’effet accélérateur de la période ? L’interview croisée de Guillaume Mortelier, directeur exécutif en charge de l’accompagnement chez Bpifrance et Marie Poussin, directrice régionale Paris.

Les PME et ETI françaises témoignent-elles de difficultés à parler accélération en cette période complexe ?

Marie Poussin : Nous constatons au contraire un afflux de PME et d’ETI désireuses d’intégrer nos programmes d’accélération. Les crises sont propices à rechallenger sa vision stratégique. Nous observons deux typologies d’entreprises : celles dans l’urgence de la trésorerie et celles dans la prise de recul, dans la gestion du temps long, qui cherchent les opportunités à saisir dans la période actuelle. Comment sortir grandi, comment rebondir, continuer à croître… Il y a un effet stimulant à se confronter à de nouvelles contraintes.

Guillaume Mortelier : Les demandes d’accélération en novembre ont été supérieures à celles que l’on constatait les années précédentes. Y compris dans des secteurs très touchés par la crise. L’Accélérateur tourisme que nous lançons ce mois-ci a été très sollicité.

Comment l’expliquez-vous ?

Guillaume Mortelier : Par une prise de conscience des dirigeants à devoir prendre davantage en compte des enjeux comme les impacts environnementaux. Les réflexions étaient parfois enclenchées mais pas toujours mises en action. Nous assistons à un changement de posture. Le premier confinement, en rendant les chemins habituels impraticables, a obligé les entrepreneurs à rouler hors des sentiers battus pour continuer à avancer. Ils n’ont pas eu d’autre choix que de se lancer dans la digitalisation, y compris chez les plus réticents.

L’impossible est devenu possible et les dirigeants ont pu mesurer l’efficacité de ces nouvelles voies. Par extension, ils ont touché du doigt la transition climatique et ses enjeux, avec des clients qu’ils doivent servir autrement, des réflexes BtoB et BtoC qui changent.

Marie Poussin : Les réactions ont été très phasées. Il y a eu le choc de l’arrêt brutal du 17 mars, la réorganisation, la reprise de l’activité, le rebond de l’économie jusqu’en octobre, puis de nouveau une cassure de l’élan avec le second confinement. Même si la chute d’activité n’est cette fois que de l’ordre des 20 %, les dirigeants se rendent compte qu’ils sont exposés à des ruptures dans leur exploitation quotidienne provoquées par des éléments extérieurs et que cela peut être récurrent.

L’écosystème est-il facteur de résilience ?

Guillaume Mortelier : On constate que les PME et ETI qui avaient des liens forts avec leur écosystème ont mieux résisté. Les dirigeants les mieux entourés ont trouvé des solutions plus rapidement face au choc macro commun à l’ensemble de l’économie. Notre dernière étude sur le moral des chefs d’entreprise a montré un moral trois fois plus fort chez les sociétés qui ont abordé la crise sanitaire portées par un collectif de pairs comme notre Accélérateur.

On est dans une course de fond et les chefs d’entreprise savent que c’est au moral que cela se joue. Le collectif est une force, c’est un booster d’énergie.

Et c’est pour cette vertu qu’ils se tournent vers vos programmes d’accélération ?

Pour le collectif qu’ils y trouveront de manière certaine, comme pour le diagnostic individuel qui les challenge sur leur vision stratégique. Nos Accélérateurs fonctionnent par promotion d’une trentaine de dirigeants, d’une durée de 12 à 24 mois, avec un travail effectué à la fois au niveau de l’entreprise, avec un consultant expert scannant l’entreprise à 360 degrés et identifiant un sujet à traiter en priorité, des séances en sous-groupe pour évoquer la problématique avec des pairs et des sessions collectives structurées avec des écoles de commerce pour donner du corps à sa stratégie.

Le programme allie la puissance de l’académique à la constitution d’un réseau d’entrepreneurs solide. Il est autant sur le soft que sur le dur. C’est un bouillon de culture.

Jusqu’où la Covid-19 a-t-elle changé la donne en matière d’accélération ?

Marie Poussin : On a franchi un cap dans l’acceptabilité de la nécessité d’être accompagné. La Covid-19 a aussi bousculé la hiérarchisation des projets. Trouver de nouvelles sources d’agilité vis-à-vis de l’interne et des clients est devenu une priorité criante. Là-aussi il y a des verrous et des réticences qui ont sauté.

Guillaume Mortelier : Par rapport aux crises économiques précédentes, on a eu affaire à des dirigeants mieux armés, à de vrais challengers qui ont appris les réflexes de l’agilité, prêts à aller chercher les bons outils à mettre dans la besace, préparés comme des sportifs à vivre un effort violent, des entrepreneurs très combatifs qui n’ont pas lâché la barre.

Quels enseignements tirez-vous des cinq ans de vos Accélérateurs ?

On sait que 92 % des Accéléré-e-s initient au moins un projet de transformation en profondeur pendant leur accélération. On constate aussi que, comparées à des entreprises similaires en taille, celles qui participent à cette portance affichent 10 points de croissance de plus, sur une trajectoire pérenne.

Nous avons accéléré plus de 1600 dirigeants depuis le début de notre programme. 400 sont déjà sortis. Notre volonté est d’en recruter 700 nouveaux en 2021 et 1000 par an à terme.

Quels sont les aspects différenciants de vos Accélérateurs ?

Marie Poussin : La force de nos programmes est de proposer de l’accompagnement sur-mesure. Il y a un vrai effet promo, avec de belles histoires de business et d’amitié, des liens forts noués durant les 24 mois. Avec l’opportunité de faire grandir également son codir, en embarquant son bras droit dans des formations.

Guillaume Mortelier : Cette passerelle développe des valeurs d’entraide et d’écoute. Il y a un phénomène d’amplification, l’accélération crée une ouverture d’esprit incroyable, une culture du dirigeant. Les sessions sont organisées à raison d’un jour par mois, ça permet aux entrepreneurs de s’extraire du quotidien, de lâcher le mode opérationnel pour se mettre en traction stratégique.

Quelles évolutions envisagez-vous pour les prochaines promotions ?

Après avoir renforcé notre maillage en Accélérateurs régionaux pour une meilleure appropriation de cet outil, nous complétons le maillage sectoriel commencé par l’automobile, l’aéronautique et la plasturgie avec des Accélérateurs spécialisés dans la construction, le tourisme, la valorisation des déchets, la filière bois, la transition énergétique. Ces Accélérateurs spécialisés ont le même squelette que leurs aînés en région. On y constate un ciment encore plus fort autour d’un sujet commun.

Nous avons également créé l’Accélérateur international pour accompagner les dirigeants dans leurs stratégies export et, en ce moment, nous montons un Accélérateur sur l’axe franco-africain et un second sur l’axe franco-italien, à destination d’entrepreneurs qui démontrent des intérêts à travailler ensemble. L’objectif à terme étant de construire une culture entrepreneuriale européenne.