« Revenir aux fondamentaux de l’économie, avec des entreprises rentables. »
Après la gestion de l’urgence, quel rôle pour l’Etat dans le soutien aux PME au moment de la relance et de la reconstruction ?
L’avocate Thaima Samman accompagne Women Equity depuis sa création, d’abord par conviction au regard de son engagement pour la promotion de l’égalité professionnelle au plus haut niveau et parce que les politiques publiques doivent intégrer les enjeux des entreprises.
Spécialiste du dialogue entre autorités publiques et monde économique, rompue aux négociations entre celles-ci, elle nous livre sa vision d’experte sur l’interface public-privé du printemps 2020.
De la gestion de crise…
En cette période de Covid-19, après avoir largement endossé un rôle d’amortisseur du choc économique au travers de plans d’aide massifs pour soutenir entreprises et particuliers, l’Etat français se pose désormais en stratège, dans une logique de concentration du tir.
Où les efforts vont-ils porter pour que les entreprises tiennent le choc et comment faire émerger l’économie de demain ?
Pour Thaima Samman, avocate fondatrice du cabinet Samman, expert en affaires publiques à Paris et à Bruxelles, le changement de braquet s’explique par une mutation dans la nature de l’aide, le temps de la reconstruction prenant le pas sur l’urgence.
Objectif : revenir à une croissance saine, avec des entreprises rentables.
… à la stratégie de relance
Thaima Samman : Le sujet s’apparente au schéma humanitaire. Nous sommes à ce point de bascule où, comme lors du tsunami dans l’océan indien de 2004, bénéficiaire de dons massifs, Médecins du Monde a invité les donateurs à stopper leurs envois, parce que l’aide d’urgence devait faire place à l’aide à la reconstruction, et donc à une autre typologie d’acteurs.
Face au Covid-19, les gouvernements et l’Union Européenne ont privilégié l’aide d’urgence pour éviter que l’économie ne s’effondre, afin que des entreprises saines ne meurent par manque de trésorerie et qu’elles puissent conserver leurs compétences et collaborateurs.
L’Etat français notamment, mais il n’a pas été le seul, a ouvert très largement les vannes des aides sous toutes leurs formes.
Pour une croissance saine
La période est maintenant à la reconstruction. La réflexion des pouvoirs publics aujourd’hui, est de revenir aux fondamentaux de l’économie, à une croissance saine, avec des entreprises rentables.
Les acteurs privés du financement sont appelés à reprendre leur rôle afin de remplacer le financement par l’aide publique et la dette facile, par le renforcement des fonds propres pour permettre aux politiques publiques de s’orienter sur des enjeux stratégiques de soutien à la structuration des filières d’avenir.
Sur qui l’effort va-t-il désormais porter ?
Alors que la crise sanitaire semble être sous contrôle et l’activité économique en rémission, l’Etat commence à être plus attentif aux bénéficiaires.
A l’heure du déconfinement et d’un retour progressif à la normale au niveau français et européen, différentes voix s’expriment sur ce que devraient être les politiques publiques de soutien à l’économie.
Faut-il distribuer les aides aux Etats-Membres ou faut-il saisir l’opportunité de la réflexion post-crise pour envisager une réelle stratégie industrielle et économique basée sur une analyse des secteurs stratégiques pour l’Europe ?
Secteurs vers lesquels les aides seront fléchées, pour maintenir voire faire progresser l’Europe dans la course de la compétition internationale.
Avocat le plus engagé de la deuxième option, Thierry Breton, Commissaire européen notamment en charge de la politique industrielle et du Marché Intérieur, a déjà identifié comme secteurs prioritaires, à approcher avec une démarche d’innovation, le tourisme, la mobilité automotive, l’aérospatial et la défense, la construction, l’agri-food, la santé, le numérique et les énergies renouvelables.
Un changement de paradigme européen ?
Dans ce contexte, les concepts de « souveraineté économique » et de « fin de la mondialisation » sont devenus le nouveau crédo politico-économique en France et en Europe.
C’est néanmoins un peu vite oublier l’imbrication des chaînes de production mondiales, nos modes de production basés sur la productivité et les économies d’échelle qui requièrent des marchés d’exportation et enfin, que cette mondialisation reste, pour plusieurs pays, le meilleur moyen de développement économique.
En revanche, rien n’empêche une réflexion sur les politiques publiques économiques et les pratiques des entreprises dans un dialogue « gagnant-gagnant » en tirant les leçons de la crise sur les dépendances qui fragilisent l’économie nationale et européenne et par extension ses citoyens, comme l’ont montré les carences en production de tests ou de masques au début et au plus fort de l’épidémie.
Vers un nouveau cadre des aides d’Etat ?
Le cadre contraint des aides d’Etat, fondement de la construction européenne limitant la capacité des Etats-Membres les plus riches à soutenir artificiellement leurs entreprises, afin d’assurer une concurrence à peu près équilibrée au sein du marché unique, a explosé ces dernières semaines, la Commission européenne multipliant les exceptions d’autorisations au grand bénéfice de l’Allemagne notamment.
Ce dogme de l’Union Européenne n’était d’ailleurs pas sans contestation de la part d’acteurs confrontés à la concurrence d’entreprises chinoises ou même américaines, dont les gouvernements se montrent moins regardants lorsqu’il s’agit de soutenir leurs champions nationaux mondiaux ou de leur réserver leurs marchés publics nationaux au détriment des règles commerciales mondiales et des accords de réciprocités.
L’enjeu sera donc dans les mois qui viennent de trouver la bonne formule pour préserver le marché intérieur tout en armant les entreprises européennes pour faire face aux pratiques de leurs concurrents mondiaux.
Quelle place pour les entreprises dans la construction de l’économie post-Covid ?
Va-t-on, post crise sanitaire, retrouver notre monde d’avant avec des masques ou la crise aura-t-elle été l’opportunité de construire de nouveaux modèles de concurrence basés sur une approche et une intelligence différentes ?
En tout état de cause, les entreprises sont des parties prenantes clefs du monde d’après. Elles ont besoin de comprendre ce que l’Etat français et l’Union Européenne ont en tête pour pouvoir contribuer à la prise de décisions.
Elles doivent intégrer non seulement leur légitimité à participer à ces débats mais aussi prendre conscience de leur rôle fondamental et de leur responsabilité, pour que les autorités publiques comprennent le fonctionnement mais aussi les besoins des entreprises. Ce qui permettra qu’elles soient prises en compte dans les arbitrages rendus, au niveau macro comme au niveau micro.
Pour les PME de croissance, identifier les stratégies filières du gouvernement ou de l’UE et faire partie des négociations avec les décideurs publics est un enjeu majeur.
Investissements, R&D, normalisation, certification sont des enjeux clefs, susceptibles de faciliter la capacité des entreprises à prendre part avec succès dans la compétition mondiale. Tous sujets typiquement réglementaires et de politique publique sur lesquels les PME de croissance doivent apprendre à se positionner, dans un dialogue constructif avec les pouvoirs publics.